Dans son rapport sur les résistances aux antibiotiques de sept bactéries responsables de maladies graves et fréquentes, telles pneumonies, diarrhées, infections urinaires, septicémies, otites, gonorrhées… l’Organisation mondiale de la santé a dressé, en avril 2014, un bilan très inquiétant et même effrayant : Les échecs se multiplient pour les antibiotiques classiques comme pour les antibiotiques de dernier recours, tels les carbapénèmes qui « dans certains pays sont inefficaces chez plus de la moitié des patients » ou encore les fluoroquinolones.

Les souches résistantes voyagent et se sont acclimatées dans les 117 pays examinés par l’OMS qui relève diverses mauvaises pratiques : prescriptions inappropriées, antibiothérapie aberrante pour des affections virales, interruption trop précoce du traitement favorisant les résistances ultérieures.

L’inertie, la passivité des autorités sanitaires…

Ce n’est qu’en 2001 que l’Union européenne s’est penchée sur ce grave problème. Depuis, la France en est à son 3ème plan de réduction des antibiotiques qui ont baissé pendant deux ans avant de reprendre de plus belle pour le plus grand profit des laboratoires… au détriment du budget de la santé. Rien qu’aux États-Unis, le « simple » coût des résistances aux antibiotiques se situerait dans une fourchette de 15 à 25 milliards d’euros chaque année.

Auteur d’un rapport remis récemment à la ministre de la santé sur « la surveillance et la promotion du bon usage du médicament en France » ; le Professeur Bégaud, pharmacologue de Bordeaux n’est pas tendre avec les autorités sanitaires. Il pointe les dysfonctionnements dans la machine des soins, qu’il s’agisse de l’Afssaps (puis l’ANSM) ou de l’Assurance maladie. « Sous la pression des lobbies pharmaceutiques, on a laissé prescrire des antibiotiques de 3ème génération par la médecine de ville en procédant à des extensions de mise sur le marché. Des affections qui auraient dû être traitée par des antibiotiques classiques, comme la pénicilline ou la rovamycine, ont été soignées en première intention par des céphalosporines de 3ème génération […] La passivité politique sur la question a quelque chose de désespérant ».

Pour le plus grand profit des laboratoires

Après s’être accélérées entre 1940 et 1970, les découvertes se sont taries dans les années 1980. Pour Bernard Bégaud, « L’économie du médicament repose sur le système libéral qui organise la rencontre d’un besoin de santé publique et d’un intérêt privé, avec un impératif de rentabilité. Le calcul opéré par l’industrie est très simple. Mettre le paquet sur des maladies chroniques et fréquentes comme le diabète de l’adulte permet de commercialiser des médicaments chers et prescrits à vie à des patients de plus en plus nombreux. C’est bien plus profitable que de dépenser de l’argent pour mettre au point un antibiotiques dont les pouvoirs publics limiteront l’usage aux infections bactériennes et qui ne sera prescrit que pour des traitement de courte durée, de 7 à 8 jours. Et dont l’efficacité ne dépassera peut-être pas quelques années ».

Que dire des médicaments prescrits pour des maladies qui n’existent que dans l’esprit mercantile des laboratoires !

Le gavage des bêtes pour produire davantage et plus vite

L’organisation mondiale déplore également la consommation massive d’antibiotiques de plus en plus puissants chez les animaux excédant la quantité utilisée chez l’homme. La vente d’antibiotiques à usage animal a certes baissé de 41 % depuis 1999, s’élevant en France à 782 tonnes en 2012, tandis que celle de la fluoroquinolone et des céphalosporines de 3ème et 4ème génération a progressé de 250 % depuis 1999 et de 25 % sur les 5 dernières années, ceci afin de préserver la filière française au prix d’une certaine omerta politique, selon le Pr Bégaud. La prochaine loi sur l’avenir de l’agriculture devrait enfin interdire les rabais et ristournes accordées jusque-là en fonction des quantités écoulées.

Que dire des épidémies et autres pandémies de zoonoses transmissibles à l’homme, comme les crises aviaires H5N1 et HINI, qui seront suivies par d’autres, n’en doutons-pas, les mêmes causes engendrant les mêmes effets…

Le formatage des médecins

Selon Vincent Renard, professeur de médecine générale et président du Collège national des généralistes enseignants, « quand on met à leur disposition des produits incroyablement efficaces, les médecins ont tendance à faire passer au second plan la réflexion sur le rapport entre les bénéfices et les inconvénients des dits produits ». Pendant longtemps, les antibiotiques étaient pratiques, efficaces et réclamés par les patients avec peu de risques identifiés. « La surconsommation n’était en rien un problème de santé publique. Pourquoi se serait-on privé des antibiotiques ? »

Face aux signaux d’alertes depuis une quinzaine d’années, il est, selon ce docte professeur, difficile de se remettre en cause et de remettre en cause les enseignements reçus. « Quand le message est martelé par les spécialistes, il n’est pas aisé de modifier les pratiques malgré les signaux d’alertes » !

Il est vrai qu’à force d’être répété un mensonge ou une contre-vérité devient une vérité, un dogme au pays de Pasteur, comme le sont antibiotiques et vaccins.

Selon cet enseignant, « ne pas prescrire d’antibiotiques n’est plus un problème pour les jeunes généralistes. Il reste des progrès à faire, mais le changement de culture est manifeste dans les facultés de médecine et dans le contenu pédagogique de la formation de 3ème cycle dispensée aux futurs généralistes. Quand les étudiants en formation formeront le gros du contingent des praticiens, ce problème sera réglé en partie. Mais l’inertie due à la pyramide des âges est très importante. »

Pour lui, la baisse de la consommation d’antibiotiques entre 2000 et 2004, est liée à la mise à disposition du test de diagnostic permettant de distinguer les angines bactériennes des angines virales. Il n’explique cependant pas la légère remontée de la consommation d’antibiotiques en 2005-2006, puis la hausse plus sensible ces dernières années. Il n’explique pas davantage comme le rappelait le Pr. Bégaud, que des affections qui auraient dû être traitées par des antibiotiques classiques, ont été soignées en première intention par des céphalosporines de 3ème génération.

Selon ce président des enseignants, « au-delà de l’existence d’un plan, il n’y a pas d’actions coordonnées ni de pilotage correct sur l’antibio-résistance. Il y a une sorte de fédération d’initiatives diverses, pas plus. » Et de citer l’Assurance-maladie qui n’a jamais coordonné ses propres actions avec quiconque, ou la Direction générale de la santé qui n’a aucun poids sur le fléchage des fonds destinés à la formation médicale continue des médecins.

Le Pr Renard avait pourtant participé au groupe de travail chargé de l’évaluation du plan 2007-2010 pour préserver l’efficacité des antibiotiques !

Permettons-nous quelques remarques :

Le contenu pédagogique de la formation de 3ème cycle dispensée aux futurs généralistes concernant les vaccins répond-il au devoir d’information claire, loyale et appropriée tenant compte du réel rapport bénéfice/risque ?

Ce contenu pédagogique intègre-t-il le constant phénomène de commutation propre aux bactéries et virus, systématiquement occulté, alors qu’il participe aux pressions de sélection bactériennes et virales grâce aux antibiotiques, aux antiviraux et aux vaccins ?

Le Dr Renard semble ignorer que 98 % de la formation médicale continue est assurée par les laboratoires pharmaceutiques. Ne devrait-il pas, puisqu’il a accordé une interview à des médias, nous présenter ses éventuels liens d’intérêts avec les laboratoires ?

Dr Marc Vercoutere