On sait grâce à des articles de presse que Goldman Sachs a pour tradition de parier contre ses propres clients. C’est tout à fait légal aux USA. Cette banque a donc incité des pays à lui acheter des produits financiers toxiques pour ensuite se positionner contre ses clients, en pariant sur l’effondrement de l’investissement de ses propres acheteurs. C’est ce qu’elle a fait avec le marché des subprimes. En 2006, sachant que ces produits financiers allaient s’effondrer, elle s’est débarrassée de ces produits financiers en les vendant à ses propres clients. Elle a fait alors un très bon chiffre d’affaire. Elle a donc gagné une première fois.

Puis Goldman Sachs s’est positionné une deuxième fois pour gagner sur les pertes qu’allaient faire ses propres clients. Elle a gagné une seconde fois sur le dos de ses clients grâce à la chute des subprimes en 2007 et 2008. C’est la tradition de cette banque d’affaire qui ne s’embarrasse pas d’éthique ou de morale. La loi américaine n’a pas prévu ce genre de comportement et ne sanctionne donc pas ce genre de pratique. Cependant les clients ont pris conscience que des banques comme Goldman Sachs agissaient de la sorte, comprenant que leur propre banque pouvait parier contre eux. C’est peut-être cette prise de conscience qui va mettre un terme à cette pratique qui jusque là, se faisait impunément.

Les lobbies de la finance qui gagnent énormément d’argent, emploient des fonds considérables pour empêcher que toute loi de régulation bancaire soit votée aux USA. C’est un cercle vicieux, elles gagnent des sommes d’argent qu’elles n’auraient jamais dû gagner. Cet argent leur ouvre la porte du Capitole, et des enveloppes peuvent être distribuées afin qu’aucune loi ne puisse passer sans leur permission. Spéculation pour compte propre, délits d’initiés, effet de levier, dérivés opaques traités hors marché, peuvent continuer sans qu’aucune régulation financière ne puisse entraver ces pratiques, car le lobbying est légal aux USA.

Toutes les décisions qui sont prises au sein des instances de l’Euroland, comme du FMI, comme du G20, ne sont que des décisions qui viennent entériner ce que les marchés financiers ont déjà décidé. Le marché déstabilise les obligations de tel pays pour augmenter les profits de ses investisseurs. Et à partir de là le destin du pays est scellé, programmé. Tout le reste ce ne sont que des fonctionnaires et chefs d’État qui tentent d’éteindre le feu. A partir du moment où la dette d’un pays est cotée sur les marchés, c’est le marché qui décide quel taux d’intérêt le pays va payer. La vulnérabilité est là, elle tient au fait que la dette est cotée sur le marché international. Or, sur ce marché, il y a des investisseurs débridés et non réglementés auxquels personne n’ose s’opposer, qui peuvent déstabiliser cette dette et faire monter les taux pour maximiser leurs profits.

L’Europe veut réglementer la spéculation et les produits dérivés mais cela ne pourra être fait que sur l’Euroland. Tout effort de réglementation européenne sera de faible efficacité du fait que Londres et New York n’entendent pas réglementer la finance. S’il y avait une décision globale, on pourrait moraliser les marchés, mais quelle instance globale a le pouvoir de coercition sur les États-Unis et Londres pour réglementer les marchés ?

Ce système anglo-saxon ne peut être contraint par une instance extérieure. Il sera contraint, dissous par son propre crash, sa propre perte.

Aujourd’hui 75 % du marché des dérivés est totalement déréglementé, opaque. Or, il représente 10 fois le PIB mondial. Ses capacités de déstabilisation des États et du monde entier sont énormes. Les spéculateurs peuvent vraiment mettre en faillite des États sans qu’on puisse faire quoi que ce soit.

La France, la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Italie n’ont pas causé eux-mêmes leur propre déstabilisation. Ce sont les manipulations des marchés financiers qui ont précipité ces pays au bord de la faillite. L’austérité imposée dans ces conditions consiste à prélever sur l’argent des citoyens pour payer des bonus sur des ventes et transactions baissières de la part des spéculateurs.

Les vraies attaques baissières contre l’Europe viendront toujours de New York, Chicago et Londres. Il y avait une fenêtre de deux ans, ouverte pour mettre fin à l’Europe avec des attaques systématiques d’une grande violence jusqu’en novembre 2010. Or, la destruction de l’Europe n’a pas eu lieu grâce à des apports et soutiens discrets de la part de la Chine et de la Russie. En fait, les banques centrales des pays émergents pèsent plus lourds actuellement que les capacités anglo-saxonnes de déstabilisation. La fenêtre d’opportunité pour tuer l’Europe et remporter le butin est passée.

On n’a pas encore vu la crise ultime des USA qui sera l’épilogue de cette histoire. Cette crise sera subite, violente et fera descendre l’économie américaine assez bas dans le classement des économies mondiales. L’Europe et les pays émergents se sont progressivement découplés des USA et donc la crise les touchera moins durement.

Myret Zaki, auteur de La Fin du Dollar, rédac. chef du Bilan (Suisse)
publié dans Morphéus n° 61 janv-févr. 2014