Alors que 13 500 plaintes avaient été déposées en 2011 aux Etats-Unis contre le laboratoire Bayer pour une pilule de troisième génération, la première plainte sera déposée en France le 14 décembre 2012 par une jeune femme lourdement handicapée (paralysie de la main droite et crises régulières d’épilepsie) à la suite d’un accident vasculaire cérébral imputable à une autre pilule de troisième génération du même Bayer. C’est l’électrochoc médiatique et institutionnel. Serions-nous devant un nouveau scandale sanitaire comme celui du Médiator ?

Sont visés par cette plainte française Bayer-Santé pour « atteinte involontaire à l’intégrité de la personne humaine » ainsi que le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui n’a pas demandé le retrait de cette pilule du marché, « en violation manifestement délibérée du principe de précaution ».

Cette première plainte au pénal, comme le déremboursement programmé des pilules de 3e génération, interviennent dans un contexte de montée des inquiétudes et des procédures judiciaires, un peu partout dans le monde occidental, à l’encontre de ces contraceptifs oraux. Ce n’est sans doute que la partie visible de l’iceberg.

Le 25 janvier, Le Figaro révèle un document confidentiel de l’Agence du médicament faisant état de 7 décès depuis 1987 en rapport avec la pilule anti-acné Diane 35 ; l’ANSM n’ayant recensé que 125 complications en 25 ans.

Vers une avalanche de plaintes

Plus de 60 plaintes ont été déposées au Pôle santé du TGI de Paris concernant les pilules de 3e et 4e générations et plusieurs pour Diane 35. Depuis la mi-décembre, un cabinet d’avocats bordelais a été contacté par 650 femmes victimes des pilules de 3e et de 4e génération dont une soixantaine pour Diane 35 et ses génériques. La plupart envisagent de déposer plainte une fois le dossier constitué. Les chiffres avancés par les autorités seront donc largement dépassés. C’est la trop classique sous-notification reconnue par l’ANSM pour qui « les déclarations représentent en général seulement 1 à 2 % des accidents réels. Remplir une déclaration peut être contraignant et fastidieux pour un médecin, qui, par ailleurs, sera forcément plus réticent à déclarer des effets secondaires d’un médicament qu’il a lui-même prescrit ».

Le scandale s’annonce donc énorme et le nombre de victimes serait 50 à 100 fois plus important que les chiffres actuellement avancés. Rien que pour Diane 35, le nombre de décès pourrait atteindre 400 !

Les dessous de la polémique

Face à cette agitation médiatique et la multiplication des plaintes, les experts de la gynécologie sont vite montés au créneau. C’est le cas du Pr Israël Nisand qui a rendu récemment un rapport au gouvernement et qui rappelle qu’en 1995 une panique équivalente avait provoqué en Grande-Bretagne l’interruption de la contraception chez 40 % des femmes se soldant par une augmentation des IVG. Si l’agence européenne n’a pas accepté les injonctions politiques de la ministre de la santé de retirer ces médicaments du marché, c’est tout simplement parce qu’elle est la seule à avoir des certitudes sur la question des risques de ces médicaments, « certitudes que confère l’idéologie quand celle-ci est amenée à remplacer des compétences qui font cruellement défaut dans son entourage ». Pour cet expert « cette polémique sur la contraception est donc destinée à cacher l’inconfort majeur de nos agences et l’incompétence du ministère de la santé. Son coût, « un pill scare à la française » (panique), et une décrédibilisation supplémentaire du corps médical dans son ensemble. Bref un mauvais coup pour les femmes. »

La cécité du corps médical français

Pour cinglante qu’elle soit, cette analyse ignore délibérément qu’en 1994, l’autorité de réglementation pharmaceutique allemande avait effectuée une série de tests sur Diane 35 suite au décès d’une femme d’un cancer du foie sans liens d’imputabilité, alors que les oestroprogestatifs sont responsables de cancers du foie chez les animaux. Notre expert se garde bien d’évoquer les décès et les accidents graves survenus après ces pilules de 3e et 4e génération en Allemagne, en Suisse, aux USA, en Australie (55 dont plusieurs décès entre 2004 et 2007) et méprisés, voire occultés par Bayer, leader mondial du marché florissant des pilules, comme il veut ignorer deux études publiées en 2009 par le British Medical Journal ainsi qu’un reportage de Marketplace de la télévision canadienne CBC, télédiffusé en janvier 2011 faisant état de 55 accidents graves pour 100 000 femmes avec l’ensemble des pilules et 90 pour 100 000 pour celles de 3e et 4e génération, sans écarter la classique sous-notification.

Israël Nisand aurait dû reconnaître, comme l’avait fait la présidente de l’Ordre des pharmaciens du Québec en février 2011, que « depuis 1961, on sait que la prise de contraceptifs oraux, quelle que soit la sorte de contraceptifs, augmente les risques de présenter une embolie ou un phénomène thrombotique ».

Pour les utilisatrices de pilules de 3e et 4e génération (1,7 million de françaises) le risque thrombo-embolique veineux est 2,7 fois plus élevé que pour les utilisatrices de pilules de 2e génération (2,1 million de françaises). Ce chiffre fut dans un premier temps démenti par l’ANSM pour qui il n’y aurait pas de sur-risque « selon les projections épidémiologiques menées à l’échelle européenne ». Ce risque est même augmenté de 10 à 150 fois suivant la pathologie si la femme présente une anomalie d’hyper-coagulabilité type facteur 5 ou 2 de Leiden, antithrombine 3, facteur S ou facteur C, ou encore anticorps anti-phospholipides (maladie auto-immune en rapport notamment avec l’aluminium)…

Pilule au banc des accusés

Bien qu’une personne sur dix en France soit porteuse de ce type d’anomalie, le dépistage est loin d’être systématique, gynécologues et médecins se contentant du dosage de la glycémie et du cholestérol…

Israël Nisand ignore-t-il que la commission britannique de sécurité des médicaments avait souligné en 2002 la fréquence de tels accidents, recommandant d’utiliser Diane 35 avec la plus grande prudence, dans des cas très précis d’acné grave et sur une courte durée de trois à quatre mois, alors qu’en France, une large majorité des 315 000 femmes la prennent depuis 5 ou 10 ans sans présenter d’acné. C’est du détournement, très profitable pour Bayer qui sera interrompu avec la suspension de Diane 35 décidée pour la fin avril 2013, tandis que les pilules de 3e et 4e génération ne seront plus remboursées au 31 mars prochain comme l’avait recommandée l’ASNM en juin 2012.

Bref, tous les ingrédients d’un nouveau scandale : des pilules dangereuses, des centaines de victimes ignorées, des médecins peu scrupuleux, une agence de santé impuissante qui se fait balader par un laboratoire réalisant de juteux profits (Diane 35 coûte 7 à 10 fois plus cher que les pilules).

Dr Marc Vercoutère