Imaginez que demain une planche à billet vous soit octroyée et qu’il vous soit dorénavant possible de battre monnaie pour une région entière.

La première chose que vous ferez sera d’arrêter de travailler, d’ouvrir une ligne de crédit à votre propre compte pour disposer d’une villa avec des coffres, le tout protégé par des agents de sécurité travaillant pour votre propre compte. La planche à billet sera utilisée 24/24h par du personnel bien rémunéré chargé de remplir vos coffres de billets.

 Selon votre conception du monde parfait, vous allez orienter les flux monétaires et crédits. Ainsi, vous accorderez des fonds pour les entreprises qui vous semblent en phase avec votre idéal et bloquer tout crédit aux entreprises qui vous semblent nocives ou qui ne cadrent pas avec vos idées et objectifs.

Si le cadre politique et législatif de votre région ne vous convient pas, vous allez vous employer à le changer. Vous pouvez impulser des changements internes par des crédits préférentiels ou une philanthropie orientée. Si ces stratagèmes ne fonctionnent pas, il vous faudra créer une force politique en capacité de renverser celle qui ne vous est pas favorable. Quand à la législation, étant en mesure de financer une armée d’experts, il vous sera facile de convaincre des fonctionnaires d’état pour établir des réglementations qui cadrent avec vos projets.

Vous allez nécessairement vous faire des ennemis, à savoir tous ceux qui ne partagent pas votre vision du monde. Malgré votre philanthropie apparente et votre discrétion, certains crieront au complot. Votre image devant être soignée et entretenue, il vous sera essentiel de disposer de médias afin d’établir une pédagogie visant à éduquer les populations dans le sens de vos objectifs. Pour les mécontents, il suffira de retourner l’opinion publique contre eux en les traitant de complotistes illuminés.

Dans les sciences économiques, il sera essentiel de cacher l’idée que la main invisible, c’est vous. L’esprit des experts économiques doit être formaté de telle manière qu’elle occulte totalement votre activité au-dessus des politiques et des entreprises. Ainsi, vous pouvez continuellement avancer masqué. Vos objectifs doivent être atteints comme s’ils étaient issus d’un processus logique et consensuel. La population même considérera que l’évolution socio-économique de la région suit un cours naturel.

En politique vous vous efforcerez de fournir experts et conseillers dans tous les domaines et pour tout parti politique. Une politique sociale vous conviendra car son coût vous fera empocher des intérêts sur les dettes qu’elle engendre. Une politique libérale vous confortera également dans votre activité. L’essentiel dans toute cette histoire est d’offrir un choix politique aux citoyens. Chaque homme et femme de votre région doit avoir un sentiment de liberté quant à ses choix politiques.

Cultiver le sentiment de liberté parmi la population est vital. Si, par malheur, les citoyens comprenaient que vous êtes à l’origine de tous les changements socio-économiques et que vous forgez l’avenir à votre convenance, ils pourraient dès le lendemain assiéger votre villa et vous pendre à un réverbère. Il vous faut donc être prudent.

Votre région, en bonne voie de devenir ce à quoi vous aspiriez, vous souhaitez naturellement étendre votre influence, votre pouvoir. Mais les autres régions sont gérées par d’autres créateurs de monnaie. Vous vous décidez à contacter vos confrères proposant un débat afin d’harmoniser des orientations continentales. Il s’agit d’ajuster les différentes visions du monde des créateurs de monnaie en instituant un consensus transrégional et à terme, un consensus transcontinental. Lors de ces débats vient naturellement l’idée d’une gouvernance mondiale de la caste pilotant toutes les régions. L’idée d’asseoir votre pouvoir via une fonction transpolitique d’harmonisation mondiale sied à votre ambition. Vous allez enfin peser dans la transformation globale sans avoir à travailler mais juste en orientant le travail des masses, des entreprises et des états à votre service…

Cette présentation naïve démontre que la gouvernance mondiale actuelle est constituée d’une caste qui ne travaille pas, ne crée rien. Elle oriente l’activité mondiale à son gré. Sa puissance tient au fait qu’elle s’est accaparée le pouvoir de battre et de créer de la monnaie sans qu’aucun contrôle, ni entraves ne la freinent. Or, n’importe quel citoyen à qui l’on donnerait ce « pouvoir au-dessus des pouvoirs » suivrait à peu près le parcourt que nous évoquons ici. Nul besoin d’avoir fait l’ENA ou même des études supérieures pour parvenir à un poste de gouvernance mondiale, il suffit de garder le secret de votre pouvoir.

Vers un métamarxisme

Le complot actuel se cristallise donc autour de la création monétaire détenue par des acteurs privés qui forgent le monde à leur convenance. Il n’y a que deux classes véritablement authentiques aujourd’hui : celle de ceux qui contrôlent la monnaie à leur profit et celle de ceux qui en subissent les conséquences ou qui en profitent s’ils vont dans le sens du vent. Ce fait devrait interpeller et amener une réflexion métamarxiste de la lutte des classes. Pour gagner dans cette lutte, il faut soit instaurer une démocratisation totale de la création monétaire en marge des systèmes actuels, soit contrôler démocratiquement mais, de main de fer, la caste qui crée la monnaie. Car il est tout de même époustouflant de constater que ceux qui créent des richesses en sont dénués et que ceux qui ne créent absolument rien vivent comme des nababs.

L’origine du mal

En 1910, une réunion secrète eut lieu dans la propriété de JP. Morgan sur l’île de Jekyll au large des côtes de l’État de Georgie. C’est là que fut rédigée la loi de la Banque Centrale américaine appelée le Federal Reserve Act. Cette législation fut écrite par des banquiers, pas par des législateurs. Cette loi donnait aux banquiers privés tout pouvoir sur la création monétaire aux USA.

En 1913, fort du soutien de ces banquiers, Woodrow Wilson devint président, acceptant au préalable de signer le Federal Reserve Act en échange du soutien à sa candidature.

Des années plus tard, Woodrown Wilson écrira avec regret :

« Notre grande nation industrielle est contrôlée par leur système de crédit. Notre système de crédit est privatisé c’est pourquoi la croissance du pays ainsi que toutes nos activités sont entre les mains d’une poignée d’hommes qui, si nécessaire, pour des raisons qui leur incombent, peuvent geler, rectifier et détruire l’authenticité de la liberté économique. Nous sommes devenus un pays des plus mal gouvernés, des plus contrôlés et des plus soumis du monde civilisé. Il ne s’agit plus d’un gouvernement libre d’opinion ni d’un gouvernement de conviction élu à la majorité, mais d’un gouvernement soumis à la volonté et à la fermeté d’un petit groupe d’hommes dominants ».

Dans un monde libre, tout individu qui de près ou de loin touche à la création monétaire devrait être élu et sous contrôle citoyen. Toute opacité relative à la gestion et à la création monétaire centralisée devrait être très durement sanctionnée. N’ayant pas ces principes à l’esprit, aujourd’hui nous sommes tous devenus des esclaves…

Frédéric Morin
Morphéus n° 102, novembre 2020