Isami, la Dame Etoile, parlait… Etait-ce mélancolie ou sérénité qui faisait son regard si rêveur, tandis qu’un reflet de sourire semblait errer sur tout son visage sans trouver à se poser ? Markosamo n’aurait pu le dire. Emu, il ne se lassait pas de l’écouter. Il était heureux. La plénitude de tels instants lui dilatait le cœur. Il en goûtait tout le rare bonheur. Pourtant, il ne parvenait pas à chasser au loin toute appréhension, en ces discours qui alternaient entre sourire et gravité, entre ombre et lumière.

Ainsi, disait-elle :

                – Une fée va toujours jusqu’au bout de son destin, une fois acceptée l’alliance humaine. Même s’il lui faut mourir… Et, peut-être, lui faut-il mourir ?…

Elle empêcha Markosamo de protester, en lui mettant un doigt sur la bouche, sans se laisser interrompre.

                – La fée n’a pas le choix, Markosamo ! Ou bien elle reste dans son rang, pour ses simples œuvres de fée. Ou bien, elle se voue à plus haute tâche, en connaissant tous les risques qui en découlent. Et, en ce cas, lorsqu’elle aborde le contact humain, lorsqu’elle s’offre toute à exalter le potentiel dormant dans un homme, alors, c’est irréversible.

Il était consterné ! Mais comme elle le bâillonnait toujours, en riant malgré le souffle fatal qui passait dans ses propos…

                – Markosamo, je suis comme l’autre pôle de la charge de Maha, l’autre pôle de cette animation cosmique qui s’est déposée en ton être pour faire de toi un véritable Maha. Cette personnalité supérieure, tu l’as, elle est bien en toi, depuis ton initiation. Mais, tant que la Fée n’y est pas venue à son tour, tu ne disposeras pas de dynamisme vrai. Et le Maha, en toi, n’y sera point fixé ni vraiment agissant. Sans la venue de la Fée, ta dotation cosmique ne resterait que comme une stagnante vapeur au fond de ton être. Elle ne t’emplirait pas tout entier. Surtout, elle ne se densifierait pas. Et tu ne deviendrais pas réellement, c’est-à-dire pas à part entière, un Maha. Peu de gens le sauraient, remarque ! Peut-être même personne… que toi. Et encore sans pouvoir le formuler !…

                Mais, dans un endroit du ciel où se tient certain Veilleur, un soupir dirait : il n’y a sur terre qu’une intention de Maha…

                Isami entrecoupait ses sérieuses réflexions par d’autres, qui paraissaient n’avoir aucun rapport. Cette façon de faire déroutait Markosamo. Il s’en trouvait ébranlé, presque bousculé.

Isami le voyait : elle en riait plus haut encore, battait des mains, appelait les oiseaux, suçait un fruit, qui se trouvait là, à sa portée, sans qu’on sût comment, courait dans un sentier, reparaissait subitement à l’opposé par un autre…

Markosamo se sentait pesant et gauche. Il sentait aussi à quel point elle appartenait à un autre monde que le sien. Mais le fossé n’avait pas le temps de se creuser, ni la tristesse de rien effleurer. Tout reprenait soudain une sage place et Isami, au bras de son compagnon, enchaînait une paisible promenade, comme si de rien n’était.

Et elle dit :

                – Tout est jeu, mon amour. Rien que jeu. Des mouvements s’échangent, des combinatoires se font, des essais sont proposés, tentés, et puis effacés par d’autres essais. Une lumière attaque. Une ombre esquive. Deux valeurs opposées s’épousent : c’est le crépuscule… ou c’est l’aurore !… L’enfance du ciel joue par et à travers nous. Et, quand nous protestons, parce que le jeu secoue trop fort notre goût de l’inertie, alors l’enfance du ciel, qui n’est ni tendre ni cruelle, rit aux éclats en nous secouant de plus belle. Car nos grands cris tintent à ses oreilles comme les petites clochettes de son hochet !

Isami disait :

                – Les fées ne peuvent accomplir leur mariage qu’avec certains humains. Ceux-là, déjà, ont en eux une dotation particulière. Tu le sais parfaitement. Ton initiation t’en a donné toutes les clés. Tes ancêtres ont reçu le Cristal en eux. Ainsi, ils ont eu le Germe Cosmique et te l’ont transmis, pur, par la trajectoire de ta liguée. Cela fait que, toi, tu as, ou mieux : que tu es le rattachement au Centre-Dieu qui sur Terre, préside à la destinée de l’évolution de l’homme. Ainsi, toi et ceux qui t’entourent, êtes-vous à la fois localisés sur terre et localisés dans le ciel. Ainsi, pouvez-vous, afin que soit poursuivi le jeu, ou le travail, si tu préfères, revenir par réincarnation dans votre propre lignée. Et, comme tu as pu le constater, vous vous retrouvez à plusieurs, toujours les mêmes, au centre d’un groupe en action. Ce sont là les familles de la destinée. Des familles spirituelles, Markosamo, auxquelles un Maître Intemporel sert mystérieusement de père…

                Une autre manière de la Dame Etoile était de s’arrêter, juste quand son interlocuteur brûlait d’en savoir plus. Isami s’interrompait sitôt qu’il était saturé, avant même qu’il s’en aperçut. Elle lui donnait ainsi le temps de la réflexion silencieuse.

Elle continua :

                – Je suis une fée, je ne puis aimer que l’objet exact de ma mission, O Markosamo, comprends-le, comprends-le, je te prie ! Je ne puis aimer que toi. Le reste n’est rien…

                – Markosamo, je suis fondue à toi. Et je le serai mieux encore par la suite, tu verras. Il y a beaucoup à découvrir dans et par l’amour d’une fée… Il est, sans fin, perfectible…

                – Markosamo, je suis fondue à toi… Et tu possèdes la vie éternelle, celle qui, éternellement, est consciente d’elle-même, à travers tous les relais qu’elle prend, d’âge en âge… avant sa remontée divine, jusqu’au moment où elle se fixe, comme une gemme éblouissante, en Dieu, une gemme, d’où partent des rayons-pensées, qui sont autant de personnalités de Dieu, essaimant sans fin la Création.., O Markosamo, mon amour humain, cette gemme au début fut un homme et une fée. Souviens-t’en.

                Markosamo se retrouva étendu aux côtés de la fée. Il s’avisa qu’il était vêtu autrement, d’une ample tunique, taillée dans un genre de gaze légère, toute rebrodée d’entrelacs floraux. Le vêtement vert d’Isami était semblable.

                D’une aiguière, qui avait la noblesse d’un joyau sacral, elle lui versa une boisson. Le verre effilé était un calice de fleur, la boisson un nectar… Elle lui tendit des fruits. Il n’en avait jamais goûté de pareils et ne trouvait aucune expression pour en qualifier la saveur. Des friandises, tout aussi inconnues suivirent. Se nourrir ainsi, c’était comme recevoir en esprit les pensées d’un poème…

                Isami reprit la parole, tendrement, car l’état de stupeur de celui qu’elle aimait ne pouvait attendre plus ses explications.

Elle le rassura :

                – Non, tu ne rêves pas. Ce que tu vois, ce que tu touches, ce que tu entends, ce que tu manges ici est bien réel. Tu le vis, tu y es, tu ne dors pas, ce n’est point un songe. C’est réel, je te le répète, mais d’une réalité plus haute, plus subtile que celle dont tu uses habituellement. Tu viens avec moi d’accéder à la surréalité. C’est sur ce plan d’existence que se trouvent toutes les commandes gouvernant le réel épais où sont enlisées les humanités. C’est ici que tout s’y prémédite. Tu es sur le plan de l’Essence. Tu peux y être en conscience et en vérité parce que ta noce avec la fée a dynamisé ta propre essence. Ce qui t’a éveillé à ce plan, en y accordant ta fréquence vibratoire. As-tu compris ?

 

Extraits de ‘Markosamo le Sage’ pp. 232-240 de Christia Sylf

aux éditions Le Hiérarch, 1989

Publié dans Morphéus n°84 nov-déc 2017